Prévention des RPS (Risques Psychosociaux) en entreprise
Regards de consultant/formateur sur les besoins des entreprises en matière de prévention des RPS (Risques Psychosociaux)
Patrick MADIE, consultant formateur en Santé, sécurité et conditions de travail répond à plusieurs questions :
Q1 : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? quelle est votre activité ?
PM : je suis juriste de formation et j’ai un 3ème cycle en Ressources humaines ; j’ai fait du conseil pour les entreprises d’une importante Fédération professionnelle pendant une dizaine d’années avant de Diriger le service de santé au travail inter-entreprises des Métiers et Professions de santé ; je suis désormais habilité en tant qu’ intervenant en prévention des risques professionnels (IPRP) pour les domaines technique et organisationnel ; j’effectue des missions de formation/conseil principalement sur l’Ile-de-France, via Human Prevention, Organisme référencé auprès des représentants salariés des Comités Sociaux Economiques (CSE) sur la santé, la sécurité, les conditions de travail et aussi sur les champs économique et social ; des membres des équipes Ressources Humaines participent souvent à ces actions. Au total, j’ai donc un retour d’expérience de plus de 20 ans sur ces questions.
Q2 : Lorsque vous abordez les risques psychosociaux, quelles sont les principales attentes de vos interlocuteurs ?
PM : ce sont d‘abord des attentes de conformité réglementaire : quelles sont les obligations des Chefs d’entreprises ? que sont les droits et les moyens d’action des représentants salariés des CSE ? Viennent ensuite des interrogations sur les méthodes et les outils : quelles méthodes et quels outils existe-t-il pour agir ? comment les utiliser ? a-t-on les ressources internes et le temps pour le faire ? ; les entreprises ont souvent du mal à s’y retrouver ; il existe en effet de nombreux outils sur les RPS, la plupart créés par des psychologues à l’usage et à l’interprétation des psychologues ; ils restent donc difficiles à utiliser en entreprises car les postes de psychologues sont rares ; de même, les ressources externes de psychologues à disposition des entreprises, principalement via leur adhésion à leur service de prévention et de santé au travail inter-entreprises, sont limitées et difficiles à mobiliser sur des temps longs par tous les adhérents qui pourraient en avoir besoin.
Enfin, avant de parler méthodes et outils, je teste toujours les convictions de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail : l’entreprise a-t-elle une volonté sincère d’agir sur les RPS ? veut-elle le faire de façon globale ou seulement de façon limitée suite à certains évènements ? Cette phase préalable de questionnement et d‘échanges est essentielle.
Q3 : A quelles difficultés principales sont confrontés vos interlocuteurs ?
PM : les représentants des salariés ont souvent du mal à se faire reconnaitre par les Directions comme des Partenaires de l’entreprise ; en France, la conflictualité est souvent une composante du dialogue social ; cela explique que les représentants des salariés se sentent souvent considérés comme des « empêcheurs » et rarement comme des « contributeurs » à l’amélioration des conditions de travail, malgré leur bonne volonté et leur approche pragmatique, le plus souvent ; s’ils ont choisi de représenter les autres salariés de leur entreprise et de défendre leurs intérêts en santé, sécurité et améliorations des conditions de travail, c’est souvent par conviction qu’il est possible d’améliorer les choses par le dialogue social de par leur connaissance du terrain et des salariés. Ce levier essentiel reste encore souvent mal compris et sous-utilisé au profit d’une recherche à minima de conformité légale par les Directions d’entreprises.
Q4 : A votre avis, peut on préconiser des méthodes et outils en matière de Risques psychosociaux (RPS) ?
PM : afin de résoudre les difficultés énoncées dans la question 2, l’INRS a fait un énorme travail de synthèse dans la suite du Rapport GOLLAC de 2011 sur la connaissance des facteurs de risques psychosociaux ; les TPE et les PME (mais aussi les autres) disposent désormais d’un outil simple et compréhensible par tous pour appréhender les facteurs de risques psychosociaux dans le cadre de l’obligation des entreprises d’évaluer tous les risques professionnels ; cet outil RPS-DU est disponible sur le site de l’INRS avec un guide d’utilisation ; dans mon expérience, il est possible d’utiliser cet outil, non seulement dans le cadre d’un Groupe de travail lors de l’évaluation des risques de l’entreprise comme le propose l’INRS mais aussi en faisant participer les salariés de l’entreprise à l’évaluation des RPS, de façon régulière, sous forme de questionnaire individuel, en respectant bien sûr, dans cette modalité, l’anonymat des salariés. L’intérêt de cet outil est non seulement d’identifier et de classer les facteurs de risques par ordre d’importance mais aussi d’identifier les facteurs protecteurs pour la santé ; par ailleurs, il donne la parole aux salariés pour proposer des suggestions d’amélioration, à l’inverse des autres outils, ce qui facilite donc le travail d’analyse et d’exploitation.
Sur d’autres thématiques plus spécifiques, comme le burn-out, de plus en plus de préventeurs, notamment dans les services de santé au travail inter-entreprises, sont formés à ces questions et proposent des outils et des méthodes pour agir, non seulement après un burn-out, sous l’angle de l’accompagnement individuel pour un retour au travail réussi mais aussi, de façon plus récente, en amont, pour prévenir l’apparition des facteurs de risques à l’origine du burn-out. Par ailleurs, de plus en plus de Cabinets conseils proposent d’accompagner les salariés après un burn-out.
Q5 : L ’appréhension des RPS en entreprise est-elle, à votre avis, meilleure aujourd’hui que dans le passé ? pourquoi ?
PM : la prise de conscience des entreprises a évolué de façon positive, me semble t-il, au cours des dernières années, allant de pair avec la progression de la connaissance des causes des RPS et la propositions d’outils simples (cf. question précédente) ; dans un passé pas si lointain, beaucoup d’entreprises avaient du mal à admettre qu’il pouvait exister des risques psychosociaux ; le retour du réel a été violent dans les années 2000 avec les suicides et les tentatives de suicides en séries notamment sur les sites de France Télécom et de Renault, obligeant les Pouvoirs publics à réagir (Plan Darcos de 2009 imposant aux entreprises de plus de 1000 salariés de négocier sur le stress). Enfin, depuis quelques années, les Pouvoirs publics et le législateur donnent une importance accrue aux questions de harcèlement et de discriminations, ce qui renforce cette évolution.
Pour autant, l’appréhension des RPS reste encore souvent un cran en dessous des actions de prévention des risques physiques car sur les RPS on touche aux prérogatives clé de l’employeur en matière de définition des objectifs, de fixation de la charge de travail, de marges d’autonomie, de management ou d’organisation du travail, tous éléments qui sont à la base des RPS ; cela explique que la simple évocation de ces sujets soit souvent perçue par les employeurs comme une volonté des Représentants des salariés de remettre en question les prérogatives de gestion des employeurs et non comme la participation des représentants des salariés à l’amélioration des conditions de travail.
Q6 : Voyez-vous des points d’intérêts nouveaux chez vos interlocuteurs sur ces thématiques RPS ? lesquels ?
PM : Oui, j’ai de plus en plus de questions sur le burn-out ainsi que sur le télé-travail qui devient un mode de travail habituel pour un nombre croissant d’entreprises dans le cadre d’organisations de travail hybrides, De même, dans le prolongement de la loi du 2 août dernier renforçant la prévention en santé au travail, dont les dispositions sont applicables pour la plupart à compter du 31 mars 2022 (et que beaucoup d’employeurs ignorent encore le plus souvent), les entreprises de toutes tailles voient leurs obligations renforcées, et notamment celles de plus de 50 salariés ; Ces dernières doivent en effet mettre en place un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail, issu de l’évaluation des risques professionnels de l’entreprise et de son Document Unique, en précisant la liste détaillée des mesures à prendre pour l’année à venir, et pour chaque mesure, les indicateurs de résultats, l’estimation de leur coût, les ressources internes mobilisables et le calendrier de mise en œuvre.
Cette évolution (ou plutôt Révolution pour beaucoup d’entreprises), devrait, à terme, améliorer significativement le dialogue social et le niveau de prévention, des risques physiques et psychiques ; en effet, très souvent le Document unique d’évaluation des risques existe bien mais les plans de prévention annuels qui devraient en résulter restent rares ou imprécis. J’ai donc beaucoup de questions tant des représentants des salariés que des Directions sur ces nouvelles dispositions qui sont désormais applicables.
Q7 : Un dernier mot, pour conclure ?
PM : si vous me permettez de mentionner deux mots, ce serait espoir et patience car de nombreuses évolutions récentes ou en cours devraient conjuguer à terme leurs effets bénéfiques pour la santé et la sécurité des salariés : citons par exemple les évolutions de la loi du 2 août 2021 renforçant la prévention en santé au travail, la montée des thématiques RSE, dont les salariés sont une des parties prenantes ou encore la création d’une instance unique de dialogue social en entreprise sur ces thématiques (le CSE) ; par ailleurs, les Directions d’entreprises sont de plus en plus confrontées aux questions de pénurie de main d’œuvre, aux difficultés de fidélisation de leurs collaborateurs et aux attentes nouvelles des jeunes générations ; les entreprises sont de plus en plus conscientes du risque de « grande démission » pour reprendre l’expression américaine. Face à ces enjeux, je suis convaincu que la sortie par le haut pour les entreprises consiste à réfléchir avec leurs représentants, à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du dialogue social. Le contexte s’y prête ; Ont-elles d’ailleurs d’autres choix ?